29 novembre 2015

Pataphysique de l’Apéricube®

Vos amis sont lents à se dégeler à l’apéritif ? Pour accélérer les effets du Martini®, du Campari® orange ou du Frontignan®, joignez l’utile à l’agréable en leur offrant, en plus des Pringles® et des cacahuètes de rigueur, quelques Apéricubes® qui stimuleront à la fois leurs papilles et leurs neurones grâce aux questions posées à l’envers de leur emballage.

Jouissif pour qui se rappelle le massacre poisseux auquel donnait lieu l'ouverture des premières portions de Vache qui rit®, un très ingénieux système de languette permet en effet le dépiautage propre et instantané de l’enveloppe plastico-métallique de ce petit polyèdre de frometon, en une surface déployée en tau, comme une marelle sans Paradis. Cette enveloppe révèle au verso une série de questions de culture générale dont la réponse figure — à l’envers — au dessous de chacune, ou presque.

Versos d’enveloppes d’Apéricubes®.
En haut : Qui est l’auteur ? En bas : Lesquels des frères Weasley ?

C’est ici que vous pouvez (à peu de frais) initier vos invités à la Pataphysique.

Prenez d’abord soin de les détourner de la vulgarité, qui consisterait à s’intéresser aux questions-réponses intactes (et d’autant plus triviales que les réponses, même sens dessus-dessous, restent lisibles). 

Ces réponses manquent en général cruellement d’intérêt : non seulement tout le monde sait  quelle partie du corps soigne la gastro-entérologie quelle rivière [sic] arrose la ville de Toulouse, ou quel est l’auteur de Bons Baisers de Russie, mais à l’heure où tout le monde a son smartphone à portée de main, il est trop aisé de combler, via Google et Wikipedia, l’éventuelle lacune ou le trou de mémoire intempestif, pour venir abonder la connaissance vulgaire.

Orientez plutôt vos hôtes vers la résolution de problèmes autrement plus enthousiasmants pour l’esprit et utiles pour la Science, en leur proposant les véritables énigmes que posent les textes créés aléatoirement par la languette de dépiautage. Car cette languette a entraîné dans sa course un morceau plus ou moins important de la pellicule de plastique adhérant au papier d’alu, celle qui porte justement les textes imprimés ! Les questions tronquées par cet arrachage prennent alors une dimension intéressante, demandent une réflexion poussée, entraînent parfois des discussions acharnées, une passion soudaine parmi vos convives. Voilà la Science en marche. C’est exactement ce que vous souhaitiez !

Ces quelques exemples de questions vous prouveront l’extrême intérêt de la démarche. Essayez de répondre sincèrement, mobilisez ce qui dans votre boîte crânienne n’a pas encore été atteint par le décervelage général, trouvez les Solutions Imaginaires ! 

1. Lesquels des frères Weasley ?
2. Qui est l’auteur ?
3. Sur quelle surface les joueurs ?
4. En cuisine, comment ?
5. Dans quelle ville se trouve la statue ?
6. De quel pays est-il ?
7. Dans quel sport s’illustre ?
8. Dans quel film ?
9. Quelle musique ?


En attente de vos réponses créatives, votre

Élisabeth Chamontin.



19 novembre 2015

J'ai rencontré le père Noël

Hier soir, j’allais chez une copine, une copine de vingt ans, chez qui je devais retrouver quatre autres joyeuses survivantes de l’heureux temps post minitel où nous avions fondé internenettes.fr, avant même que le mot « blog » ait été inventé. J’ai donc pris d’abord le bus 80, dans l’intention de changer pour le 32 à l’arrêt Pasquier. Et dans ce 80, j’ai remarqué un noble vieillard, de stature imposante, dans un de ces larges sièges que prévoient maintenant les bus. Il n’y était pas avachi, mais installé comme s’il était sur un trône, et son port de tête attestait une souveraineté spirituelle, sinon temporelle. Son visage bienveillant était éclairé par une barbe blanche magnifique, des sourcils et une moustache de même couleur. À Pasquier, il descendit en même temps que moi et nous cherchâmes de conserve l’arrêt du 32, qui était tout proche.

Là, nous eûmes la désagréable surprise de lire sur le panneau électronique indiquant les délais d’attente, qu’il nous faudrait poireauter dix-huit minutes dans les courants d’air avant le prochain bus. Assis sur le banc de cet abri Decaux nouveau modèle — visiblement conçu pour qu’on n’ait pas la tentation d’y rester plus de quinze secondes — nous nous préparâmes à cette attente, moi branchée sur FB et Twitter via mon Samsung, lui au téléphone avec quelqu’un pour prévenir qu’il allait être en retard. Dans ces cas là, on lie forcément conversation. J’appris donc vite que mon voisin se rendait au temple de Passy à une répétition du Requiem de Mozart devant être donné le soir suivant en mémoire des victimes des attentats. Je lui dis que j’aurais pu être moi-même en train d’assister à une performance de Ein Deutsches Requiem, de Brahms, si je n’avais pas été invitée chez ma copine. — «Quelle œuvre magnifique», me dit-il et nous voilà causant musique et musiciens pendant une dizaine de minutes, évoquant Alfred Cortot, son piano maintenant au Brésil, Jacques Thibaut, sa copine Jeanne Isnard qui fut prof de violon de ma sœur, et que sais-je encore.

Ce n’est que quelques minutes avant l’arrivée du 32 que cet ancien architecte, adepte de Bla Bla Car et choriste mozartien, dont je croyais déjà tout connaître, me révéla la vérité de son être. Car ce monsieur EST le père Noël, le vrai ! pas un de ces crétins avec la barbe en coton mal collée sur une gueule d’ado retardé, non, le vrai, le seul, le grand, d’ailleurs je l’avais bien senti avant même qu’il ne m’adresse la parole !

Bon, d’accord, avec les attentats ils n’a plus le droit de se balader en costume. Ces connards d’islamistes prennent en effet le père Noël pour un symbole chrétien, quel manque de culture ! Mais il revêt ce costume entre le Printemps Haussmann et la Grande Récré, pour la plus grande joie des enfants qui peuvent toujours essayer de lui arracher sa barbe ! Pour mieux me le prouver, il m’a offert sa photo dédicacée et m’a invitée à liker sa page Facebook. Le bus arrivant, bondé, nous fûmes rapidement séparés. J’ai passé une bonne soirée avec mes cinq internénettes, et en rentrant, j’ai liké la page. Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre le père Noël !

06 novembre 2015

Une lune dans le Beffroy

Intervention au Colloque des Invalides du 6 novembre 2015
sur le thème « Oubliettes et revenants »

« kinkina boursouflail peintrail vanitail, souperbouss médiocritail ! », déclare l’homme de la Lune au Cousin Jacques devant les toiles du salon de peinture de 1787[1]. Ce dernier, qui connaît la langue pour avoir fait au moins trois cent soixante sept fois le voyage vers cet astre, traduit pour ses lecteurs : «c’est donc ici que se rassemblent tous les chefs d’œuvres de l’art ?».

Extrait du Cousin Jacques hors du sallon
Procédé classique : l’utopie, l’uchronie, l’humour, permettent de faire passer plus agréablement la pilule de la critique de mœurs. Ainsi notre auteur, sorte de blogueur prérévolutionnaire, publie-t-il dès 1785 une sorte d’almanach, intitulé Les Lunes du cousin Jacques, dont Montgolfier fut le premier abonné. Les Lunes sont suivies jusqu'en 1791 par Le Courrier des planètes et Les Nouvelles Lunes. Dans ces journaux, il donne libre cours à sa fantaisie, accumulant poèmes, plaisanteries, charades, logogriphes, potins, romances et nouvelles. 

Titre du premier numéro des Lunes, et
extraits de numéros suivants
Fantaisie, ou plutôt sérieux pataphysique, lorsqu'il propose une solution imaginaire pour résoudre les problèmes urbanistiques de Paris : c’est une ville nouvelle, construite au dessus de la vieille sur une plateforme, mais pour éviter les conflits, «peuplée uniquement de gens paisibles & honnêtes, sans égoïsme, sans envie, sans effervescence, sans ambition» ce qui exclut évidemment les médecins et fait donc qu’on y meurt moins. 

Ou alors quand il décrit cet enfant de Manheim qui «a le derrière conformé de la manière la plus bizarre et la plus extraordinaire» car «chacune de ses fesses […] est réellement un visage» dont les bouches «ne laissent pas de parler ensemble». Il précise, détail qui tue, que «la fesse droite paraît plus philosophe que la fesse gauche». Le problème, c’est que l’enfant ne peut pas s’asseoir.

Extrait du poème « maman fille»
Ce plagiaire par anticipation publie un poème de plus de trois-cents vers rimant en alternance sur les deux mots maman et fille ; fait une utilisation quasi oulipienne des points de suspension ; transcrit dans les dialogues de Turlututu, empereur de l’Isle verte, le patois de sa Picardie natale[2] d’une façon qui fait irrésistiblement penser au Paysan des Exercices de Style[3] de Raymond Queneau ; et maîtrise parfaitement le latin macaronique, comme le prouve cette fausse attestation d’un «curé flamand». «Ego Curatus & Prêtrus sanctæ Ecclesiæ Romanæ, […] post habere factum lecturam Ouvragi intitulati : Turlututu, ou la Science du Bonheur, compositi per Cousin Jacquum, nihil trouvari in isto Libro quod esset oppositum bonis moribus, Religioni Catholicæ & Gubernamento […]. Signatus, P. Baptista Vandeer-Pouff du Trognon, Prêtrus-Curatus[4]

Ses préfaces, dédicaces et autres péritextes, fourmillent de trouvailles onomastiques, tel Messire Ives de Kerkorkurkailadek Kakabek, seigneur de Konkalek Kikonikar, censé avoir écrit les notes d’une de ses œuvres[5].

Un refrain du Cousin Jacques
Ces plaisanteries ne sont pas du goût de tous, et le Cousin Jacques, qui se qualifiait lui-même d’auteur de mauvais genre, n’est pas vraiment apprécié par ses pairs. La Correspondance de Grimm et de Diderot le traite même de «lunatique», autant dire timbré !

Mais c’était avant son premier gros succès populaire en 1786 avec Les Ailes de l’Amour, une comédie dont les airs de vaudeville, qu’il compose lui-même, deviennent de vrais tubes qu’on fredonne dans la rue. Les produits dérivés (poufs, bonnets et gobelets) se vendent comme des petits pains. 


Bastille du patriote Palloy — 1790.
Musée de Coutances.
Cette popularité, et son engagement en faveur de la révolution, le désignent pour écrire un Précis exact de la prise de la Bastille, qui fait encore référence aujourd’hui. Il y travaille extrêmement sérieusement, recueillant divers témoignages et croisant ses sources. L’article est tiré à cinquante six mille exemplaires.

Son plus grand succès est une pièce de théâtre, Nicodème dans la Lune, représentée plus de quatre cent fois de suite. Elle fait la fortune du théâtre mais ne lui rapporte que mille six-cents livres. Son héros arrive dans la Lune à bord de la Galiote du firmament. Là haut, une révolution est aussi en cours mais celle-là est pacifique...

La Galiote du Firmament
N’a-t-il pas l’air gentil, le Cousin Jacques ? Ce doux rêveur, naïf et voltairien, était un Picard de petite noblesse, Louis-Abel Beffroy de Reigny, qui, fort de ses études à Louis-le-Grand — en compagnie de Robespierre et Camille Desmoulins — et riche de quelques années d’enseignement, ne demandait qu’à vivre de sa plume, qu’il avait alerte et gaie.

Louis-Abel Beffroy de Reigny,
dit Le Cousin Jacques.
Mais la Terreur en décide autrement, le voilà ruiné, triste, rempli de sombres pressentiments et hanté par la guillotine. Il publie La Constitution de la Lune, rêve politique et moral, ainsi que le Testament d’un électeur, pas drôles du tout, et ne doit qu’à son frère député de ne pas être arrêté par le «comité de sûreté générale».

Il meurt oublié, l’est encore aujourd’hui. Puissent les cinq minutes des Invalides redonner un peu de vie au Cousin Jacques, qui avait une lune dans le Beffroy. 


E. C.

[1] Le Cousin Jacques hors du Sallon, folie sans conséquence, à l’occasion des tableaux exposés au Louvre en 1787. 
[2] Le comique de Turlututu, empereur de l’Isle verte, sa pièce la plus achevée,  vient notamment du contraste entre les registres de langage paysan et noble. 
[3] À cause de l’utilisation à la première personne de la forme verbale plurielle avec un sujet singulier : comparer « j’avions pas de ptits bouts de papiers avec un numéro dssus, mais jsommes tout dmême monté dans steu carriole » avec « J'étions ben tranquille, dieu marci ! dans not' moulin; et pis v'là q'tout d'un coup, comme je r'venions du marché, à califourchon su' ma bourrique, qu'un tas d'monde m'entoure et pis me r'luque, comme eune bête curieuse; et pis, v'là qu'après m'avoir salué comme une r'lique, i' m'faisont monter su' la charrette que v'là » 
[4] Cité par les remarquables éditions Plein Chant, sur leur site web. 
http://www.pleinchant.fr/marginalia/bfevrier/cousinjacques/1cureflamand.html 
[5] Les Petites Maisons du Parnasse (1783-1784)

23 octobre 2015

L'écologie rase les collines


À propos de l’accident terrible qui vient de coûter la vie à quarante-deux trois (1) personnes au nord de Saint-Émilion, Noël Mamère s’insurge et accuse « les choix politiques qui sont faits en matière d’infrastructures ».
Il se trouve que l'hélicoptère de BFM TV survole alors les lieux de l'accident, montrant une petite éminence boisée, que la route traverse moyennant deux ou trois lacets, comme ce qui se fait partout en ce cas-là.

Alors M. : « Entièrement d’accord avec Noël Mamère ! Il aurait suffi de raser cette colline en employant pour cela des énergies alternatives, par exemple des éoliennes. »

(1). On a découvert depuis le corps d'un enfant dans la cabine du camion.

28 septembre 2015

Zina (lecture de tombe)

La tombe de Zina
C'est une tombe ordinaire parmi les tombes du cimetière russe de Sainte Geneviève des bois, à cela près qu'est plaquée, sur la croix barrée à la base, si caractéristique des sépultures orthodoxes, une croix latine on ne peut plus familière aux catholiques romains.
C'est que l'habitante de ces lieux, Zinaïda Evguenievna Serebriakova, ce qui s'écrit en russe Зинаи́да Евге́ньевна Серебряко́ва, était née Lanceray, un nom de famille d'origine française, et qu'elle était de plus apparentée aux Benois, en russe Бенуа, une famille d'origine également française.
Son oncle (en russe дядя, prononcer diadia), Alexandre Benois, fils et frère d'architectes, était un peintre aquarelliste et décorateur de théâtre connu. C'est même lui qui réalisa le décor initial du fameux ballet d'Igor Stravinsky, Petrouchka. L'acteur anglais Peter Ustinov était son petit fils.

Le décor de Petrouchka,
par Alexandre Benois
Inutile de préciser que la mère de Zinaïda dessinait à merveille, et que ses deux frères, également doués, furent l'un peintre et sculpteur, l'autre architecte. Quelle famille ! C'est donc tout naturellement qu'elle entre vers 1900 à l'école d'art fondée par la princesse Maria Tenicheva pour y suivre les cours du peintre Ilia Répine (Ілля Юхимович Рєпін en ukrainien, en russe Илья́ Ефи́мович Ре́пин), un portraitiste intéressant. Elle part à Paris au début du siècle pour intégrer l'académie de la Grande Chaumière ou enseigna Antoine Bourdelle (entre autres célébrités).

Mais, revenue dans sa maison ukrainienne où elle vit avec son époux et cousin, ingénieur des chemins de fer, la voilà soudain frappée par le malheur: la révolution d'octobre éclate, son mari est emprisonné, contracte le typhus (la « fièvre des prisons »), et en meurt. La voilà ruinée, ses biens confisqués, seule avec quatre gosses et sa mère à charge. Après avoir fait la copiste au musée de Karkhov pour gagner quelques sous, elle part à Petrograd (l'ancien Saint Petersbourg) où elle fréquente d'autres peintres, mais poussée par la misère, elle finit par émigrer en 1924 vers Paris où elle a des commandes. Mais elle est séparée de ses enfants.

À la plage, par Zénaïde Serebriakoff
Naturalisée française en 1947, ce n'est qu'en 1960 qu'elle connaît enfin la reconnaissance de son art en Russie. Auteur de nombreux autoportraits, de nus féminins, elle a été comparée à Marie Laurencin, mais je trouve sa peinture nettement meilleure.
Ses autoportraits montrent une jeune femme à l'air ouvert, sympathique et même malicieux. Ce n'est pas une beauté, mais elle a du charme et du chien, avec son nez un peu long qu'elle représente sans complaisance dans l'autoportrait au miroir ou l'autoportrait à l'écharpe.
Autoportrait au miroir

Autoportrait à l'écharpe

Certains de ses nus féminins ont été inspirés par un voyage au Maroc, notamment à Marrakech, où elle se rendit bien qu'apatride — car les Soviétiques avaient retiré la nationalité russe aux émigrés — grâce à la protection d'un « passeport Nansen » et à l'invitation d'un mécène belge, Jean de Brouwer, qui fut aussi le bienfaiteur de Nicolas de Staël. Voici quelques uns de ses portraits féminins.







Un autre nom figure sur la tombe de « Zina » (diminutif de Zénaïde) : celui de son fils, Alexandre Serebriakoff, qui fut également peintre, comme sa sœur Catherine. Celle-ci est décédée récemment, le 22/08/2014, à l'âge de 101 ans ! Tous les deux étaient spécialisés dans le portrait d'intérieur. La tradition familiale se perpétuait, puisque l'autre sœur,Tatiana, fut elle aussi décoratrice, au théâtre d'art de Moscou.

E.C.
(cliquer sur les photos permet de les agrandir)

20 août 2015

Baisse d'impôt

Devant les caméras de télé, Hollande promet une baisse des impôts « quoi qu’il arrive », mais poursuit en disant : « seule son ampleur dépendra de celle de la croissance ».
Le commentaire de M. ne tarde pas : 
— ça veut dire que si la croissance est négative, la baisse d’impôt sera aussi négative.

05 juin 2015

Rue Caulaincourt


Rue Caulaincourt j'ai vu passer le petit train
Où l'œil plein de sanie et la bouche de tartre
Le touriste avachi écoute, l'air bovin,
Le « circuit commenté de la butte Montmartre ».

EC.

10 mars 2015

Félix Bovie, l'Agathopède (lecture de tombe)

C’est vraiment la première sur laquelle on… tombe, à gauche en entrant dans le cimetière d’Ixelles. Elle attire comme un aimant à cause de ses bas reliefs montrant que l’homme qui est enterré là était un artiste complet : outre la lyre du poète et le livre du littérateur on croit en effet distinguer non les pinceaux du peintre mais la gouge du graveur. Pas de croix ni de signes religieux, mais les symboles de la franc-maçonnerie : l’équerre, le compas, le fil à plomb et l’œil au centre d’un triangle. Un personnage certainement célèbre vu l’importance de la sépulture et sa situation privilégiée. Alors, qui était Félix Bovie ?

La sépulture de Félix Bovie
(cliquer pour agrandir)

Un bas relief de la tombe
de Félix Bovie

Symboles maçonniques
sur la tombe de Félix Bovie
Né à Bruxelles le 17 septembre 1812, Félix Bovie fut en effet un peintre et un graveur relati-vement connu à son époque.  Un peintre tout ce qu'il y a de plus académique, élève de maîtres réputés (Cornelis Koekkoek et Eugène Verboeckhoven), qui courait les salons, voyait ses gravures reproduites dans les meilleures revues de Gand ou d'Anvers, et puisait son inspiration dans les paysages campagnards et les couchers de soleil, qui illuminent sa palette de tons dorés.

Pour peu qu'une ruine se dresse sur une colline en contre-jour et que quelques nuages s'y accrochent, le voilà comblé, et nous aussi, qui reconnaissons là tous les codes de la peinture romantique. Ce n'est pas laid, c'est même beau, c'est habilement fait, c'est très bien composé...

Félix Bovie, Paysage hennuyer
Ce n'est certes pas d'une folle originalité, mais honnêtement, je suspendrais bien ces deux-là aux murs de mon appartement, rien que pour l'atmosphère.

Félix Bovie, Paysage animé avec cascade

Ce monsieur aurait pu continuer ainsi à graver et à peindre jusqu'à sa mort en 1880, pépère, respectable et bedonnant, mais pas du tout ! Le voilà qui abandonne tout soudain la peinture en 1860 dans la force de l'âge — il a 48 ans — pour se consacrer à l'écriture et à la chanson !

Félix Bovie, portrait-charge par Félicien Rops

Pour expliquer ce revirement, qui pourrait au premier abord apparaître comme un curieux cas de dédoublement de la personnalité, il nous faut ici faire un petit détour du côté de la Société Pantechnique et Palingénésique des Agathopèdes, en abrégé Société des Agathopèdes, à laquelle appartenait notre ami. Tout helléniste traduit immédiatement agathopèdes par « les bons enfants » ou éventuellement par quelque chose comme « hommes de bonne éducation », ce qui n'empêchait pas cette joyeuse confrérie d'érudits de se placer sous le signe du cochon : présidée par un Grand pourceau royal, une tête de cochon figurant sur son blason, elle se réunissait pour de mémorables agapes appelées glandées. Alexandre Dumas, dont on sait qu'il avait un bon coup de fourchette, fut d'ailleurs admis chez les Agathopèdes en 1852, alors qu'il était réfugié à Bruxelles pour échapper à la prison pour dettes. Charles de Coster, l'auteur de La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandres et ailleurs en était aussi membre. Il écrira d'ailleurs la préface d'un recueil de chansons de Bovie. Sa tombe se trouve aussi dans le cimetière d'Ixelles.

Comme les pataphysiciens, les Agathopèdes avaient leur calendrier spécifique, dont les mois portaient des noms plus ou moins en relation avec le cochon (boudinal, jambonose, truffose..) ou en rapport avec la gastronomie en général (canardinal, petitpoisidor, cerisidor...) Le peintre Félicien Rops, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il officiait dans un genre fort différent de celui de Félix Bovie, faisait également partie de la société. Sur le portrait-charge qu'il a réalisé de son ami dans la revue Uylenspiegel, (illustration ci-dessus, cliquer pour agrandir) on peut lire en haut à gauche, sous un petit dessin de cochon, les mots Éloge du Cochon : c'est le titre d'une chanson écrite par Félix Bovie, certainement chantée lors des banquets agathopédiques. La voici in extenso :
Ab Jove principium
(classiques latins)
Asinus asinum frégate [sic]
(les Métamorphoses d’Ovide)

Air d’Aristide, ou de la Bonne vieille (Béranger)

Monsieur Buffon (que le Seigneur confonde !)
Osa nous dire, à l’article Cochon,
Que notre frère est une bête immonde,
Et qu’à la rose, il préfère l’étron.
Le malotru qui lança cette injure
Se doutait-il quand il la débita,
Que tous les goûts sont dans notre nature,
Et le meilleur est celui que l’on a (bis).

Vous me direz : il est couvert de crasse
Il pue au loin, son groin nous fait horreur.
Oui, j’en conviens, on n’aime pas sa face ;
Mais le visage est parfois bien trompeur !
Si le fumier est son seul patrimoine,
S’il est couvert d’un limon dégoûtant,
Le cœur est bon : — l’habit fait-il le moine ?
Riches brocarts couvrent plus d’un croquant.
On l’accusa d’avoir des goûts lubriques,
Dont le récit fait dresser les cheveux ;
De dédaigner les amours platoniques,
Et de boucher des trous incestueux,
Je ne veux pas en faire une rosière,
Un concurrent pour le prix Monthyon !
Mais qui de vous peut lui jeter la pierre
Et lui donner sa malédiction ?
Vieux débauchés, dont la force expirante
Ne répond plus à vos constants efforts,
Vous lui devez la truffe succulente
Qui vient donner du nerf à vos ressorts.
Et vous traitez de goinfre et de vorace
Le doux ami, rognant sur sa portion ;
Vous l’abaissez, et ce faible bonasse
Rêve toujours à votre érection.

Puis ce Cochon, qu’ici bas on décrie,
Sait-il ramper comme un vil courtisan ?
Renia-t-il ses amis, sa patrie,
Pour obtenir un pouce de ruban ?
Sots potentats, idoles qu’on encense,
Se gorge-t-il de vos mets savoureux ?
Fier plébéien, il fuit la dépendance,
Et peut braver vos regards dédaigneux.

Un philanthrope exploitant la misère,
Un séducteur trompant un faible enfant,
Un vil cafard qui souille un presbytère,
Sont plus cochons que ce pauvre innocent.
Mais pour couvrir leur sale turpitude,
Son nom servit de manteau, de plastron ;
Et depuis lors ils ont, par habitude,
Crié : — Haro ! haro ! sur le Cochon.
Voilà qui nous entraîne bien loin des couchers de soleil romantiques sur les châteaux en ruine du Hainaut ! Il paraît donc plus opportun, en conclusion, de choisir pour illustrer cette chanson, le célèbre tableau de Félicien Rops dit La Dame au cochon - Pornokrates



E.C. mars 2015

24 janvier 2015

Realpolitik

Horrible Arabie Saoudite
Où règne la foi wahhabite
Une sombre secte sunnite
Qui vous fouette et vous décapite !
                              
Horrible Arabie Saoudite
Où la femme de la conduite
Est complètement interdite
Et subit la loi de la bite !

Horrible Arabie Saoudite
Qui grâce au fric est prosélyte
Faisant beaucoup d’antisémites
Qui des pétrodollars profitent !

Horrible Arabie Saoudite…
Nos chefs d’états, beaux hypocrites
Auprès du nouveau roi s’invitent…
Ah qu’elle est belle notre élite !

Horrible Arabie Saoudite…
La realpolitik irrite,
Mais c’est pire si on l’évite.
Allons donc lui rendre visite.

21 janvier 2015

Philippines

Le Dr Ogino, père de la méthode

En revenant des Philippines
Le pape a contre les lapines
Lancé une phrase mesquine
(Même pas en langue latine)
Qui ne me semble pas très fine
Et un tantinet misogyne
Mais témoigne d’une doctrine
En ayant l’air d’être anodine.
D’aucuns, que ce François fascine,
Dont l’espoir enfle la poitrine,
Ont cru la phrase sous-marine :
Est-ce Ogino qu’on assassine ?
Las ! Le pape je ne débine
Mais reconnaissez, ma cousine
Qu’ils ont tout faux, les magazines.
Si Pierrot aime Colombine
Il vaut mieux qu’elle se débine
Pour éviter d’être en machine
À pondre changée, la frangine,
Car Pierrot au bout de sa pine
Ne peut mettre de pèlerine
Et la pilule le chagrine.

EC